Lean : et si l’age des outils n’avait pas précédé l’age du management ?
L’âge des outils correspond, selon Jim Womack, à la période de 1990 à 2006 durant laquelle les entreprises occidentales découvrant le Lean ont cherché à copier le modèle Toyota en déployant des outils et méthodes.
Certes, la mise en œuvre de ces outils permettait d’obtenir des résultats intéressants, mais néanmoins inférieurs à ceux de leur modèle et généralement peu durables.
Jim Womack a été l’un des analystes qui ont découvert que la clef du succès par le Lean ne tient pas uniquement à une boite à outils bien garnie, mais également à une manière de voir et de penser[1], qui permet d’utiliser les outils correctement et surtout à bon escient.
La reconnaissance de l’importance du facteur humain, sous-estimé jusqu’à récemment, fait émerger l’âge du management Lean.
Celui-ci correspond à une compréhension plus profonde des principes, qui, correctement appliqués, amènent des résultats à la fois concrets et durables.
Avec le recul, on peut se dire "quel aveuglement !" lorsque l’on pensait que les succès japonais et principalement ceux de Toyota n’étaient dus qu’à des outils et des méthodes. Comme d’habitude, il est facile de refaire l’histoire après coup.
L’expérience, le rôle et les apports de Jim à la communauté l’autorisent à se moquer (gentiment) des entreprises qui sont toujours coincées dans l’âge des outils, dans le but de leur faire franchir le pas vers l’âge du management Lean.
Mais à bien y réfléchir, le passage par l’âge des outils n’est-il pas indispensable ?
En effet, comment auraient réagi les entreprises pionnières occidentales si on leur avait expliqué que la clef de leurs succès futurs est une nouvelle manière de penser, qu’elle tient dans la rigueur de l’application de cinq ou douze principes en rupture avec la culture industrielle dominante ?
Qu’auraient pensé les top décideurs si on leur avait enjoint de former des individus et des équipes exceptionnels qui appliquent la philosophie de l’entreprise ? ou de respecter le réseau de partenaires et de fournisseurs en les encourageant et en les aidant à progresser ?
Aujourd’hui ces deux principes, tirés de la liste de G.Liker font du sens (même s’ils ne sont pas toujours suivis), mais en 1980 ?
Qu’auraient-ils répondus si on leur avait prédit que leurs succès futurs dépendaient d’une quête quasi spirituelle du dépouillement, de l’ascèse et de l’éradication des problèmes ?
Ils auraient crié à la menace sectaire ou au prosélytisme sournois des envahisseurs nippons.
Le passage par l’âge des outils a délivré les preuves que d’aborder l’organisation de la production de manière différente apporte des résultats très intéressants. Ce n’est que devant les limites de cette approche que les managers, mis en appétit puis rassurés par des résultats tangibles, se sont intéressés à les pérenniser et à aller plus loin encore. Ils étaient mûrs alors pour entrer dans l’âge du management.
Si aujourd’hui les suiveurs passent eux aussi par leur âge des outils sans brûler cette étape, il me semble que leur démarche est compréhensible et respectable. En effet, elle leur permet d’expérimenter par eux-mêmes, de se rassurer, puis d’accepter d’entrer dans une « dimension supérieure ».
Bien sûr, il ne s’agit pas de rester "coincé" dans le confort illusoire de l’âge des outils. Pas avec des hyperconcurrents sur les talons, ni si l’on vise l’atteinte d’objectifs ambitieux.
Néanmoins, si l’age des outils n’avait pas précédé l’age du management le Lean n’aurait peut-être jamais pris pied en occident, n’aurait pas suscité autant d’intérêt ni connu le succès qui est le sien.
[1] James P. WOMACK et Daniel T. JONES, "LEAN THINKING : Banish Waste and Create Wealth in Your Corporation", , Simon & Schuster 2003 (deuxième édition).
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