Christian HOHMANN

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Accueil Synergie TLS (ToC, Lean, Six sigma) Lean manquerait de focalisation

Lean manquerait de focalisation

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Christian HOHMANN

Cet article discute une hypothèse (une affirmation ?) soutenue par les promoteurs de la Théorie des Contraintes (ToC) puis par ceux de la synergie TLS, à savoir que Lean manquerait de focalisation que la ToC serait en mesure de compenser.


Au sommaire de cet article :

Petite clarification

Lean est une "chose" inerte, qui n'a pas de vie propre et ne peut donc pas focaliser spontanément. L'hypothèse "Lean manque de focalisation" devrait être reformulée en "Lean manque d'outils et/ou méthodes pour focaliser" ou "Les praticiens du Lean manquent de focalisation".  

L’approche théorie des contraintes

La Théorie des Contraintes focalise son attention de manière obsessionnelle sur le maillon faible de la chaine que représente le processus ou le système. C'est la contrainte (par soucis de simplification également appelé goulot. Suivez ce lien pour apprendre à distinguer goulot et contrainte.). Le dogme ToC considère que distraire des moyens et du temps, autrement dit des ressources forcément limitées, à améliorer une ressource non-goulot est un non-sens (voir les neuf règles et la devise de la Théorie des Contraintes).

Il importe de se concentrer à renforcer le maillon faible (analogie de la chaine) ou à maximiser le débit du goulot (analogie hydraulique) au plus vite, car la contrainte détermine la performance du système tout entier.

Il s’agit de focaliser toute l’attention et les moyens sur cette ressource particulière afin d’obtenir rapidement une amélioration de la performance. Une fois le résultat atteint, il faut itérer le processus d’identification de la (nouvelle ?) contrainte, procéder à son "élévation", etc. (voir les 5 étapes de la ToC).


ToC versus Lean

La critique sous-jacente faite à l’approche Lean par les ToCistes est la dispersion des efforts d’amélioration, qui visent indifféremment les ressources goulots et non-goulots. Cette dispersion dilue les moyens limités sur un nombre relativement important de cibles et de manière non-systémique (optimisations locales au détriment de la performance globale), ce qui retarde l’amélioration et sa constatation par des mesures objectives au compte de résultat et au bilan.

Du point de vue de la ToC, ce délai relatif :

  1. implique que le retard constitue un gaspillage d’opportunité ; on aurait pu bénéficier plus vite des améliorations si une focalisation sur le seul goulot avait limité le nombre d’actions, et si celles-ci avaient été focalisées sur la contrainte,
  2. comporte un risque de démotivation des parties prenantes voire d’échec, les résultats tangibles tardant à apparaitre

Ainsi, même si Lean permet d’aboutir in fine à des résultats comparables à l’approche ToC, le parcours Lean implique un délai de réalisation plus long et comporte un risque d’échec plus élevé.

Selon le raisonnement proposé, la synergie ToC+Lean consiste alors à utiliser l’approche ToC pour identifier la contrainte et focaliser tous les efforts d’amélioration sur elle. Les outils et méthodes Lean trouvent ensuite leur emploi pertinent dans ce cadre restreint identifié par l’approche ToC.

Le bénéfice vanté par la synergie ToC+Lean consiste à "accélérer Lean grâce à la ToC". Je préfère quant à moi parler de "catalyse" et de synergie, le terme "accélération" pouvant prêter à confusion.


Lean versus ToC

Dans les faits, l’approche Lean est généralement mise en oeuvre de manière plus opportuniste que la ToC. Elle met en évidence un ensemble de gaspillages et dysfonctionnements sur un périmètre ou un processus, au travers de gemba walks ou de cartographies VSM. Elle cherche ensuite de manière obsessionnelle à réduire et si possible éliminer ces gaspillages, que ceux-ci concernent une ressource goulot ou non.

Alors que la ToC ne prête d’attention qu’au maillon faible de la chaine, l’approche Lean questionne le besoin de la chaine, remet en question le nombre de ses maillons, leur épaisseur, la matière dont ils sont faits (coûts), etc. Voir à ce propos le tuyau de Gramdi.

Le paradigme du monde des coûts entretient le mythe de l’allègement de la chaine ; que ce soit par suppression de maillons inutiles, par la remise en cause de leur section ou de la matière dont ils sont faits bénéficie au système tout entier dans la mesure où le poids total de la chaine (coût global) et/ou la longueur (temps de traversée) s’en trouve réduit.

Par ailleurs, Lean se réclame plus participatif en impliquant les opérationnels alors que ToC est plus souvent une affaire d’initiés qui travaillent entre experts et livrent une solution que les opérationnels n’ont plus qu’à déployer. Dans une certaine mesure s’opposent deux visions : bottom-up versus top-down.


Lean manque-t-il de focalisation ?

Les promoteurs du Lean s’en défendront en arguant que la prise en compte de la voix du client puis l’identification du flux de valeur cadrent le périmètre et déterminent les priorités, en fonction des attentes des clients. C’est l’équivalent du questionnement ToC à propos du But ou de la finalité du système.

Si cette identification et ce cadrage sont correctement menés et que le cadrage sert à borner le périmètre lors de l’identification puis de l’exploitation des améliorations, alors l’affirmation "Lean manque de focalisation" peut être démentie.

Ceci est le plus souvent vrai à un niveau stratégique ou tactique. L’engagement d’une transformation Lean procède d’une analyse préalable qui la rend indispensable. Les initiatives retenues (les percées) sont identifiées, priorisées et managées au travers de la déclinaison de la stratégie. Pour cette déclinaison Lean propose un outil ad-hoc qui est Hoshin Kanri, aussi connu sous le nom de policy deployment. Il faut reconnaître cependant que cette approche structurée est trop rarement mise en oeuvre et malheureusement une autre pratique très courante est celle de la mise en oeuvre des outils Lean utilisés à seule fin de faire des économies, sans projet de croissance ni perspectives futures claires. C'est la très populaire mais peu efficiente chasse aux gaspillages.

Au niveau opérationnel, la relative simplicité et la popularité des outils et méthodes du Lean poussent les personnels à leur trouver des cas d’application, y compris sur des processus marginaux. Or dans un environnement industriel en particulier, les opportunités d’amélioration sont quasi infinies et dans un tel cas et en l’absence de (re)cadrage d’une autorité (hiérarchique ou expert méthodologique), le risque de se tromper de cible ou de diluer les efforts et ressources existe bel et bien.

Un exemple courant se trouve dans les efforts visant la réduction des temps de changement de série (SMED) :

  • Soit ces efforts de réduction de temps de changement visent une ressource qui n’est pas goulot et par conséquent n’a pas besoin de capacité additionnelle,
  • Soit les opportunités d’amélioration listées lors de l’étude visent également des gains annexes et allongent la liste des actions à entreprendre au-delà de celle strictement nécessaire à la réduction des temps de changement.

Si des exemples ne suffisent pas à faire une démonstration, ils sont cependant suffisamment nombreux pour apporter crédit à la critique ToC et valider l’affirmation que la ToC peut accélérer Lean.

Oui, mais.

L’élégance de la "pureté méthodologique" est une chose, le management en est une autre.

La prescription trop rigide et trop focalisée d’une approche risque d’en réduire l’attrait pour les contributeurs opérationnels. Ils se retrouvent dans un contexte de travail fortement prescrit, alors que l’esprit participatif du Lean cherche à profiter des connaissances, expériences et capacité de tous les participants.

Par ailleurs, le succès de ce genre de chantier, tel que SMED, tient beaucoup à la perception d’un bénéfice personnel à terme, tel qu’une moindre pénibilité au poste, une meilleure ergonomie, un contenu enrichi, etc.

Enfin, on risque de retrouver le dilemme habituel face à un diagramme de Pareto ; la méthodologie recommande de se concentrer sur la tête, le pragmatisme recommande de ne pas négliger la queue (voir à ce propos la vidéo ).


Conclusion

La dispersion des actions et ressources par une approche Lean est une réalité fréquemment constatée, sans que cela soit une fatalité. Ce risque est plus important dans les organisations ou les entreprises qui sont encore dans l’âge des outils Lean, mais ce sont les plus nombreuses.

Au final on peut admettre comme vraie l’affirmation initiale, en la reformulant légèrement : Les approches Lean, telles que fréquemment menées, manquent de focalisation que la ToC est en mesure de compenser.

Pour rasséréner les promoteurs du Lean, ce n’est pas l’approche Lean qui manque intrinsèquement de focalisation, mais ceux qui la mettent en œuvre qui peuvent se laisser aller à divaguer.


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Mise à jour le Lundi, 03 Août 2020 13:46  

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