Christian HOHMANN

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Le tuyau et les rustines

Christian HOHMANNCela se passe dans une salle de réunion avec un comité de direction debout, contemplant 8 mètres linéaires de brown paper (bande de papier kraft) collés aux murs, décrivant par le détail le processus amont actuel, de la prise de commande au lancement de la production, constellé de post-it rouges qui figurent les dysfonctionnements et/ou gaspillages.

Pour la compréhension des lecteurs: le processus en question était particulièrement peu efficient, très compliqué et générateurs de dysfonctionnements.

C'est la restitution de notre diagnostic.

Une fois passée la (longue) description commentée de la situation actuelle, la stupeur du public et les commentaires dépités dont le plus neutre est "tout çà pour çà ?!", il est temps de se projeter dans le futur et d’envisager les améliorations.

Le consultant chargé de la présentation détaille l’approche participative proposée au comité de direction :

"Si nous nous lancions dans cette activité aujourd’hui en partant de zéro, comment ferions-nous ? En nous basant sur les données d’entrées, notamment des exigences des clients et du marché, bâtissons un processus idéal en partant d’une feuille blanche. Cette vision idéale sera dégradée dans un second temps par la réintégration de contraintes telles que les limites d’investissements, de budget et de temps".

Réactions dans la salle. Visiblement l'idée de la feuille blanche n’inspire pas.

Un des directeurs demande : "Pourquoi ne part-on pas plutôt des dysfonctionnements identifiés pour améliorer le processus ?"

J’interviens : "C’est une approche possible, mais c’est de l’amélioration incrémentale, lente, et qui dans votre cas ne nous apparait pas pertinente. Le décalage entre vos pratiques, celles de vos concurrents et les exigences de vos clients est tel qu’il faut introduire une rupture franche et rebâtir un processus adapté."

Silence sceptique dans la salle, l’argument en faveur d’une approche prudente parait séduire ou tout du moins inspirer moins de craintes qu’une remise en question de l’existant.

Je reformule : "Vous proposez de mettre des rustines (des mesures correctives ou améliorations) sur le tuyau (processus) pour améliorer le débit en réduisant les fuites (les dysfonctionnements et gaspillages), mais vous conserverez le même vieux tuyau sans vous poser la question de l’utilité effective du tuyau.

Vous postulez qu’il faut un tuyau. Vous raisonnez à partir du tuyau parce que vous voyez ce tuyau tous les jours. Or le tuyau a été posé à une époque où il était judicieux d’avoir un tuyau de cette longueur et de ce diamètre.

(Note : le processus est un héritage d’une autre époque et ses extensions, ramifications et couches se sont rajoutées au fil de l’eau)

Nous vous proposons de partir d’une feuille blanche en oubliant votre tuyau.

Si cela se trouve, ce qu’il faut à l’entreprise dans la compétition actuelle c’est un robinet ou peut-être un seau."

Le temps que mes propos iconoclastes soient digérés et plus ou moins acceptés et la réunion poursuit son (long) cours en direction de la refonte du processus.


L'attrait des rustines

Cette réaction tuyau-rustines m’en rappelle quantité d’autres, comme par exemple :

  • Un groupe industriel, convaincu de faire du Lean, dont les groupes de travail décrivent les processus, ciblent les seuls temps d’attente qu'ils y trouvent puis travaillent à les réduire
  • Des initiatives SMED dont le but est d’accélérer la séquence des tâches du changement de série sans se poser la question de leur nécessité
  • Des projets d’amélioration de disponibilité machine visant également (surtout ?) celles qui n’ont que quelques heures de charge par mois
  • Le recrutement de contrôleurs qualité pour filtrer la masse de défauts dont on ne cherche pas à identifier puis éradiquer les causes
  • Des prévisionnistes qui occupent leurs semaines en calculs complexes, et qui accessoirement réclament des logiciels plus performants pour aboutir à des résultats ultra précis mais totalement inexploitables à cause de données initiales notoirement fausses
  • ...

Finalement, combien de programmes d'amélioration ou d'excellence opérationnelle ambitieux exhortent à sortir les pansements, poser les rustines, mettre des béquilles, à replâtrer et redonner un coup de peinture, mais surtout à ne rien changer ?

Les concurrents hilares remercient chaleureusement ces aventuriers de la bricole et les invitent à persévérer.


Au-delà de la métaphore

Dans certaines situations, l'approche amélioration incrémentale ou Kaizen ne convient pas, par manque de temps ou parce qu'aucun cap n'est fixé pour diriger et ajuster les efforts d'amélioration. Dans le cas relaté, le comité de direction n'avait pas de vision à partager, pas de stratégie permettant de mobiliser les opérationnels. 

Inviter les acteurs du terrain à améliorer, sans pouvoir leur dire quoi ni pour quoi ni pourquoi ; la finalité, la raison des améliorations demandées c'est les inviter à consommer temps et ressources à améliorer des processus et opérations inutiles ou peu pertinentes.

Ma proposition exprimée sous forme métaphorique, visait à redéfinir les attendus de la direction en fonction des exigences des clients et de la situation de l'entreprise, révélée par le diagnostic.

Cette réflexion se met ensuite en forme à l'aide de Hoshin Kanri et/ou d'un Goal Tree pour pouvoir cascader les exigences de manière pertinentes et focalisée dans l'ensemble de la structure. Les acteurs disposent alors d'une indication de direction ou un cap sur lequel aligner leurs propositions. Ceux sont eux qui proposent le comment ; quelles initiatives permettent de réduire l'écart entre ce qui est attendu et l'état actuel.


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Mise à jour le Jeudi, 21 Septembre 2017 15:25  

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